Interpellation publique
Pour une société nourricière
Désurbaniser la terre, réempaysanner les territoires
Mardi 7 juin 2022, 13h-30 – 16h30, Maltais Rouge, Paris, XIème
Début avril 2022, le journal Libération publiait une tribune Habiter la terre, ménager la Terre. Signé par 36 chercheur.es et enseignant.es en sciences humaines et sociales, agronomie, sciences de l’écologie, études artistiques, architecture et philosophie, ce texte alertait sur les risques qu’encourt notre habiter de la terre en raison d’une même démesure qui simultanément touche les espaces de concentration urbaine et les espaces de l’industrialisation agricole, forestière. Nous interrogions le solutionnisme technologique aveugle et dispendieux, que l’on remarque même dans les préconisations du GIEC. Nous invitions à un habiter qui soit à la mesure de la terre/Terre, apte à retisser nos liens en ménageant les lieux. Nous invitions à une sobriété permettant de désartificialiser les sols pour ré-empaysager les territoires, de désurbaniser les terres pour ré-empaysanner la société, de fonder le post-urbain au lieu du post-humain. Cela plutôt que de toujours plus fragmenter par des aménagements à rebours du vivant.
Or, si les surexploitations agricoles ainsi que les surconcentrations urbaines relèvent du même contre-sens, force est de constater que villes et campagnes, urbain et rural, ne sont jamais saisis à l’aune de cette démesure, politiquement comme scientifiquement, alors même que souveraineté alimentaire et indépendance énergétique reviennent à l’avant-scène. En plus de menacer notre habiter, elle fragmente nos sociétés. Et cette fragmentation se lit même dans la géographie électorale, puisque, globalement, nombre de grandes villes votent de plus en plus à gauche et les campagnes demeurent majoritairement à droite. De telles partitions masquent en fait le rôle diffus et global d’une croissance productiviste mortifère qui nie nos liens et le soin à la Terre tout comme ceux des autres vivants, qui détruit nos capacités et désirs à payser un territoire, à en faire un pays habitable, apte à nourrir nos goûts, nos corps, le sens de notre existence. Il y a en fait nécessité première à bifurquer vers d’autres écologies organisatrices de la vie sociale ; celles de la sobriété, de l’autonomie, des paysages nourriciers qui prennent soin des lieux, les gestes d’habiter, où l’on porte attention aux liens de concrescence c’est-à-dire du croître avec l’autre, avec les autres vivants.
Pour ce faire, il faut redonner aux cultures leur base paysanne. Avec soin, elles travaillent tout à la fois les symboles, les gestes, les techniques à la mesure de la terre/Terre, élevant ainsi des paysages nourriciers où se réenvisagent l’habiter urbain à la juste taille tout comme l’habiter rural et ses cultures. Elles nous invitent à sortir de l’anesthésie, à ouvrir nos sensibilités, réveiller nos consciences, à œuvrer au bien-vivre et à la santé globale de tous les vivants, et ainsi à ne plus faire comme si l’on pouvait continuer à vivre dans une croissance mortifère. Toutes les données sont en fait désormais sans équivoque, des sciences humaines et sociales à l’agroécologie, de l’architecture aux champs de la culture : seuls des liens de la raison, sensibles et en conscience, mesurés et en responsabilité peuvent encore permettre d’affronter la réalité écologique, concrète, existentielle de la dévastation. L’exploitation, la dilapidation des « ressources » que sont les vivants et la terre/Terre vont de pair avec l’urbanisation généralisée. Pourquoi le nier ou tout au moins l’oublier ? Il est temps maintenant de réfléchir ensemble à comment désartificialiser les sols, désurbaniser la terre, c’est-à-dire à la fois réempaysager les territoires et ré-empaysanner les sociétés. Explorons les voies et pratiques en la matière, celles nourries d’énergie humaine, culturelle, sociale, sensible.
A l’origine d’enseignant.es – chercheur.es de différents horizons disciplinaires, cette après-midi de présentation et d’échanges veut interpeller les forces politiques et les médias sur de telles réalités, de telles nécessités. Pour inventer un nouveau lien entre urbanités et ruralités, il ne nous reste que tout au plus quelques années.